Naît-on Manager ou le devient-on ?
Manager. Voilà un rôle qui éveille bien des questions.
A quoi sert-il ? Qu’est-ce qui fait un bon manager ?
Naît-on manager ou le devient-on ?
Investi de tous les rôles, pris en étau entre des injonctions parfois difficiles à concilier – communiquer sans trop en dire, créer du lien sans faire d’ingérence, donner du rythme sans être « control freak », maintenir la flamme sans mettre la pression – être manager ne s’improvise pas. Pourtant, seuls 13% des encadrants français estiment que leur entreprise leur a appris à exercer ce métier. A l’heure où une énième réforme de la formation professionnelle est discutée, il semble urgent de questionner le sujet.
Un métier à part entière
Le lien entre qualité du management, fidélisation, engagement des collaborateurs et performance de l’entreprise n’est plus à démontrer. L’étude de Alison Caillé et Christine Jeoffrion (Psychologie sociale appliquée aux grandes thématiques contemporaines, 2019) fait un lien direct (c’est-à-dire une corrélation significative) entre le sens au travail donné par le manager et le développement du bien-être au travail. Au-delà des nombreuses études menées sur le sujet ces dernières années (Peikai Li, Jian-Min Sun, Toon Taris, Lu Xing & Maria C.W. Peeters, The Leadership Quarterly, 2021), le meilleur moyen de l’appréhender reste encore de revisiter ses propres expériences en tant que collaborateur.
Qu’est-ce qui a fait la différence entre nos bonnes et nos mauvaises expériences professionnelles ? De quoi nous plaignons-nous le plus concernant notre vie de bureau ? Qu’est-ce qui nous a donné envie de donner le meilleur de nous-même au travail ? Il y a fort à parier que nous trouverons une histoire de chef là-dedans.
Si le manager est une fonction clé de l’entreprise, c’est également un métier à part entière. Il ne s’agit pas uniquement de transmettre des savoir-faire ou une expertise technique à ses équipes. Spécialiste de l’humain, son rôle consiste avant tout à donner un sens collectif et individuel.
A l’échelle de son équipe, donner du sens signifie expliciter la raison d’être de l’entreprise ; décliner la stratégie en objectifs concrets, ambitieux mais atteignables ; créer un esprit de corps et insuffler un vent de collaboration. A l’échelle de l’individu, donner du sens demande d’adapter son approche aux besoins spécifiques de chacun : quel levier d’engagement et quel mode d’interaction privilégier ?
En la matière, une seule certitude s’impose, parfaitement exprimée par nos amis anglo-saxons : “One size doesn’t fit all”. Une même recette ne peut s’appliquer à tous. L’écueil classique ? Projeter sur ses équipes ses propres besoins. Au bout du chemin ? Un sentiment d’échec pour le chef, et une perte de vitesse pour l’organisation.
Mais un métier “inné” ?
Si manager est un vrai métier, alors comme tous les autres, il doit s’apprendre. Nous avons du mal à imaginer un boulanger qui ait su d’instinct comment faire du pain, un conducteur de train qui n’ait pas eu besoin d’explications sur son tableau de bord, un expert-comptable qui ait trouvé intuitivement la meilleure manière de réaliser un bilan. Pourtant, nombreux sont ceux qui continuent de penser que manager ne nécessite aucune formation. Parmi les bruits de couloir les plus courants : “Ce n’est que du bon sens” et “Ca ne s’apprend pas, c’est inné”.
Il est d’ailleurs amusant de constater que l’on n’enseigne pas vraiment le management… en école de management.
Bien sûr, il y a quelques pré-requis. Le premier est l’envie.
Difficile d’imaginer que l’on puisse devenir un bon manager sans que cela soit un choix. Et pourtant… 54 % des managers n’ont jamais demandé à le devenir selon le sondage OpinionWays “L’état de l’art du management” (2017). La deuxième condition pour être un de ces chefs dont nous rêvons tous ? Etre là pour les bonnes raisons. Et pour cela, il faut aimer les gens. Sans désir profond de prendre soin des personnes, sans réelle volonté de contribuer au développement de leur potentiel, sans intérêt pour les maux de la nature humaine, la motivation s’effrite rapidement devant la difficulté du métier. Cette fois encore, l’évidence laisse place à la réalité.
Nombreux sont ceux qui deviennent chef pour le statut ou l’impact sur la fiche de paie. La faute à notre conception très hiérarchique de la réussite.
Vers une réforme managériale
Une fois ces pré-requis validés, il n’en reste pas moins nécessaire de donner à nos managers des clés pour apprendre le métier. Malheureusement, de nombreuses entreprises préfèrent changer la couleur de la moquette plutôt que d’investir dans l’accompagnement de leurs managers. Il n’est pas surprenant de constater que ce sont souvent les mêmes qui ont eu le plus de mal à faire revenir dans leurs locaux rutilants les collaborateurs éloignés par la crise du Covid-19.
Puisque le bon sens ne suffit pas, puisque l’impact d’un mauvais management à un coût non négligeable pour l’entreprise mais aussi pour la société (arrêts maladie pour chefs incompétents, voire toxiques), ne devrions-nous pas œuvrer pour une formation managériale obligatoire ? Après tout, l’habilitation électrique est bien demandée à ceux qui réalisent des actions d’ordre électrique ; il est impossible d’ouvrir un restaurant sans formation à l’hygiène alimentaire ; et les conducteurs de poids lourds ont l’obligation d’effectuer un stage de formation continue tous les cinq ans.
Pourtant, nous envisageons encore que la formation managériale soit optionnelle pour ceux qui réalisent des actions d’ordre “humain” ; qu’il soit possible de mener les entretiens professionnels sans y être entraîné ; et que les meneurs d’équipe n’aient pas besoin de formation continue pour se remettre en question et adapter leurs pratiques à un monde en mouvement permanent ?
Un dispositif d’accompagnement multi facettes
Bien sûr, rendre la formation managériale obligatoire demande vigilance et attention dans la mise en œuvre, sur le fond comme sur la forme. Dans les entreprises, il s’agira dans un premier temps de formaliser un référentiel managérial : de définir concrètement ce qui est attendu des encadrants, de le communiquer à l’ensemble des collaborateurs pour y donner du sens ; puis de le décliner en référentiel de compétences, d’évaluation et de formation. Une fois que les bases seront là, nous pourrons imaginer un socle commun, un parcours par lequel tout nouveau manager devra passer pour acquérir des grilles de lecture, un vocabulaire et un cadre de référence commun.
Il conviendra d’y inclure tout ce qui maximise l’impact d’une formation, à savoir : un mix de modalités pédagogiques, beaucoup d’échanges et d’interactivité, une approche séquencée pour assurer l’appropriation et la mise en œuvre. Former une fois ne suffira pas.
Le dispositif managérial mis en place devra, à la façon d’un contrôle technique, permettre de se rafraîchir les idées à intervalle régulier (Leadership Training Design, Delivery and Implementation : a Meta-analysis, Christina Lacerenza, Denise L Reyes, Shannon L Marlow, Dana L Joseph, Eduardo Salas, 2017). Parmi les exemples d’application concrète, le cas des cadres dirigeants des services d’hébergement et d’accueil des personnes handicapées, en Belgique francophone, l’AWIPH, est intéressant. Ce dispositif de formation certifiant obligatoire, déployé dès 2014, permet d’éclairer les avantages et inconvénients d’un tel système : pour les participants, la formation a été globalement perçue comme un lieu privilégié de rencontre et de transmission entre pairs. Cependant, le caractère obligatoire de la formation a pu générer de la résistance et n’a pas rencontré l’adhésion de tous les participants. Les points déplorés ? Des modules trop orientés gestion administrative et comptable, peu appropriés aux contextes de travail vécus.
Ce qui a été plébiscité ?
Les modules autour des savoir-être, des ressources humaines et des relations sociales. Une initiative qui a, in fine, permis de déployer de nouvelles compétences chez les cadres dirigeants.
Pour aider les managers à jouer leur partition, il sera nécessaire, côté RH, d’identifier et de proposer les bons outils, ceux qui sont au service de l’humain : modèles d’entretiens, solution d’évaluation, outils de diagnostic des besoins des collaborateurs…
Rendre la formation managériale obligatoire est un pari osé. Cela pourrait pourtant s’avérer être le meilleur chemin pour bousculer les habitudes et créer un réel changement de culture managériale à l’échelle de notre pays. D’autant plus qu’il semble que les intérêts convergent : des managers plus heureux, des collaborateurs plus engagés, des entreprises plus performantes, une société en meilleure santé. Ce qui pourrait insuffler un vent d’enthousiasme dans le monde du travail.
Source : HBR Anais Georgelin
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